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Conséquences fiscales des restructurations de portefeuilles immobiliers : un bref aperçu des dernières règlementations et décisions en la matière


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Les restructurations de portefeuilles immobiliers peuvent entraîner la perception d’impôts divers et variés, dont les montants ne sont souvent pas négligeables. Il convient donc, lors de telles opérations, d’examiner attentivement s’il est possible de faire appel à des règles dérogatoires spécifiques prévoyant une exonération des droits et émoluments perçus lors du transfert de propriété, ou à tout le moins permettant de différer l’imposition. En février et mars 2022, une circulaire révisée de l’Administration fédérale des contributions (AFC) et deux arrêts du Tribunal fédéral ont fourni des éclairages pertinents à ce sujet.

Restructuration d’entreprises

Pour que les biens immobiliers puissent être transférés sans être imposés dans le cadre de restructurations d’entreprises, ils doivent faire partie d’une exploitation opérationnelle ou constituer eux-mêmes une “exploitation immobilière”. Dans sa circulaire n° 5 “Restructurations” de 2004, l’AFC a défini trois critères qui doivent être cumulativement remplis pour qu’un portefeuille immobilier soit considéré comme une “exploitation” :

  • il y a une participation au marché ou des immeubles d’exploitation sont loués à des sociétés du groupe;
  • l’entreprise occupe ou mandate au moins une personne pour la gérance des immeubles (un emploi à plein temps pour des travaux de gestion immobilière);
  • les rendements locatifs sont au moins 20 fois supérieurs au coût du personnel conforme au marché pour la gérance des immeubles.

Ce dernier critère est fortement critiqué dans la pratique, car la limite inférieure posée par l’administration apparaît arbitraire et n’offre guère de sécurité en matière de planification. En effet, les pratiques des autorités fiscales cantonales divergent fortement à cet égard. Alors que pour l’Office cantonal des impôts de Zurich, les charges de personnel doivent s’élever à au moins CHF 100’000.- pour être considérées comme “conformes au marché”, un montant d’environ CHF 80’000.- est jugé suffisant à Berne, contre CHF 48’000.- à Bâle selon une décision rendue en 2020 par le Tribunal administratif de Bâle-Ville. En se fondant sur ces charges de personnel, un portefeuille immobilier doit afficher des revenus locatifs minimaux situés entre CHF 960’000.- et CHF 2’000’000.-, ou – si l’on table sur un rendement brut de 4% – une valeur vénale des actifs située entre 24 et 50 millions de francs, pour pouvoir être considéré comme une exploitation au sens de cette circulaire.

Le 1er février 2022, l’AFC a publié une circulaire révisée sur les restructurations (n° 5a). La critique susmentionnée n’a néanmoins pas été entendue dans le cadre de la procédure de consultation, et les exigences relatives à la qualification d’une exploitation immobilière restent dès lors inchangées. L’introduction de la circulaire susmentionnée n’a donc eu aucun impact sur les restructurations d’entreprises ayant un lien avec l’immobilier.

Restructuration de fonds de pension

Dans un arrêt 2C_380/2021 du 28 février 2022, le Tribunal fédéral a rendu une décision de principe concernant les “swaps d’actifs immobiliers” entre fonds de pension. A cette occasion, les juges fédéraux ont dû examiner, sous l’angle de l’impôt zurichois sur les gains immobiliers, une opération par laquelle une caisse de pension avait transféré l’ensemble de son parc immobilier à une fondation de placement, en échange de l’émission de droits sans valeur nominale et inaliénables dans un groupe de placement déterminé. Alors que les cantons de Berne, Thurgovie, Fribourg et Saint-Gall avaient accepté de différer la perception de l’impôt sur les gains immobiliers, l’administration fiscale de la Ville de Zurich avait considéré qu’il s’agissait d’une transaction imposable.

Le Tribunal fédéral a considéré qu’un report de l’impôt sur les gains immobiliers devait être accordé sur la base de l’art. 80 al. 4 de la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP). Cette disposition interdit la perception d’impôts sur les bénéfices lors de fusions et de partages opérés par des institutions de prévoyance. Selon un arrêt plus ancien de notre Haute Cour, la notion d’impôt sur le bénéfice comprend dans ce contexte également l’impôt sur les gains immobiliers. Contrairement aux règles d’exception prévues par les lois fiscales, l’art. 80 al. 4 LPP n’exige pas une exploitation pour que la transaction soit exemptée fiscalement. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que le critère déterminant est que le portefeuille immobilier reste rattaché au but de prévoyance précédent, en faveur du même cercle d’assurés. En revanche, les juges fédéraux ont souligné que la vente de biens immobiliers à une autre caisse de pension ou le simple remplacement d’un bien immobilier, par exemple, ne bénéficieraient pas de cette exception.

Cette décision est une nouveauté réjouissante qui donne aux caisses de pension la possibilité d’optimiser leurs détentions immobilières, sans pour autant être tenues de verser des impôts sur les gains immobiliers. Il convient toutefois de noter que des droits de mutation peuvent quant à eux être perçus, ces derniers n’étant pas couverts par l’exception prévue à l’art. 80 al. 4 LPP.

Restructuration de fonds de placement

Le 28 mars 2022, un autre arrêt a été rendu par le Tribunal fédéral, siégeant dans la même composition que celle de l’arrêt susmentionné, portant cette fois-ci sur la perception de droits de mutation en cas de changement de direction d’un fonds immobilier contractuel (arrêt 2C_624/2021). Dès lors qu’un fonds de placement contractuel ne peut pas être titulaire de droits réels, la direction du fonds détient la propriété de la fortune du fonds à titre fiduciaire. S’agissant d’actifs immobiliers, la direction du fonds est inscrite au Registre foncier en tant que propriétaire, avec néanmoins la mention que l’immeuble appartient au fonds. Dans le cas d’espèce, en raison d’un changement de direction du fonds, la propriété des biens immobiliers ainsi que les hypothèques les grevant ont été transférées à la nouvelle direction du fonds de placement. L’Office du Registre foncier du district de la Gruyère a alors considéré qu’il s’agissait d’un transfert d’immeubles intervenant à titre onéreux (sous la forme d’une reprise de la dette hypothécaire) et a prélevé des droits de mutation sur la valeur vénale des immeubles situés dans son district.

Les juges fédéraux ont confirmé l’approche formaliste des autorités fribourgeoises et a rejeté le recours interjeté par la nouvelle direction du fonds. Ils ont estimé que le droit fédéral – notamment l’ancien art. 34 de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) et le nouvel art. 39 de la Loi fédérale sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA) – ne permettait pas d’outrepasser la loi cantonale. Or, comme la loi cantonale fribourgeoise ne prévoit pas d’exception applicable en la matière, la perception des droits de mutation n’apparaît pas contestable.

L’arrêt poursuit la ligne que le Tribunal fédéral avait déjà tracée dans son arrêt 2C_503/2017 du 8 octobre 2018 concernant les droits de mutation en cas de restructuration. Dans cet arrêt de principe, notre Haute Cour avait en effet estimé que l’exonération des droits de mutation prévue à l’art. 103 de la Loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine (LFus) pour les restructurations ne s’applique qu’aux transactions effectuées selon cette loi – et non à celles effectuées selon les règles du Code des obligations. La portée des interventions du droit fédéral dans la souveraineté fiscale cantonale reste donc très limitée.

Nous notons que la décision rendue en mars 2022 est également intéressante dans la mesure où elle entre en contradiction avec une décision du Tribunal administratif genevois (JTAPI/142/2021 du 11 février 2021), également rendue dans un cas de changement de la direction du fonds. Dans ce cas, le Tribunal administratif a nié l’existence d’un transfert de propriété imposable en alléguant que la direction du fonds n’acquérait pas le contenu de la propriété (art. 641 du Code civil) en raison de son rapport purement fiduciaire. Se fondant sur l’art. 33 de la Loi genevoise sur les droits d’enregistrement (LDE), qui prévoit que seuls les actes translatifs de la propriété à titre onéreux sont soumis à un droit d’enregistrement de 3%, l’autorité précitée a considéré que la taxation du transfert de propriété formel opéré lors du changement de direction d’un fonds de placement serait contraire à l’esprit de la loi. Les autres cantons (Vaud, Valais, Bâle-Ville et Soleure) dans lesquels se trouvaient des immeubles appartenant au fonds de placement avaient d’ailleurs également renoncé à percevoir des droits de mutation, sur la base d’une interprétation similaire de leurs dispositions cantonales.

Ainsi, pour les fonds immobiliers, les droits de mutation restent souvent une pierre d’achoppement majeure qui accroît la dépendance vis-à-vis de la direction du fonds existante. Cet impôt, conjointement à d’autres conséquences fiscales, a en outre souvent pour effet de faire obstacle à un passage de la propriété foncière indirecte à la propriété directe, quand bien même il serait en soi souhaitable.

Conclusion

Les impôts restent un facteur décisif et complexe qui doit être pris en compte dans le cadre de transactions immobilières. Pour cette raison déjà, celles-ci nécessitent bien souvent une planification minutieuse et anticipée. Dans la plupart des cas, il est recommandé de recueillir un avis préalable des autorités fiscales afin d’éviter les mauvaises surprises.


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